La Grenouille avait pris l’habitude de déposer ses photos de voyage directement au pied de la porte-fenêtre qui menait au jardin. L’auteur tout d’abord s’en réjouit, jugeant d’autant plus méritoires ses efforts pour maintenir le contact avec la seule espèce de batracien capable de sillonner le globe. Car la Grenouille-à-écharpe, ainsi qu’en attestaient les photos prises, avait promené ses pieds palmés jusqu’à Washington :
… une simple étape, de son propre aveu, sur la route de l’Inde :
L’auteur, tout en se défendant de nourrir d’aussi viles pensées, n’en commença pas moins d’éprouver une certaine irritation devant ce déballage quotidien. Car la Grenouille, de retour du Taj-Mahal, avait encore trouvé le temps de faire escale à Athènes :
Il s’en fallut de peu que l’auteur, au final, n’entreprit lui-même d’effectuer de semblables périples, histoire de pouvoir discuter du monde, pensait-il, sur un pied d’égalité. Heureusement il découvrit le pot-aux-roses, ce qui lui épargna de se ruiner dans les agences de voyages : le photomaton, à quelques sauts du jardin public, permettait d’incruster son visage dans divers décors pour le prix d’une photo d’identité, et la liste des panoramas correspondait exactement aux destinations supposées de la Grenouille-à-écharpe.
« Je sais TOUT, dit l’auteur au batracien, dans la foulée de sa découverte, et sur un ton qui excluait toute controverse.
- Ah ! Quand même ! fit la Grenouille, agacée. Au bout de trois semaines ! Félicitations ! J’ai bien cru que tu ne comprendrais jamais ! C’est fou ce que les êtres humains sont crédules… »
L’auteur préféra ne pas répondre, et méditer sur cette dernière phrase.